L’état n’aime pas les internautes

J’ai toujours eu une sorte de fascination morbide pour la politique et les politiciens. Bon ils me débectent.  Mais je ne peux m’empêcher de les observer, tel le coup d’œil qu’on jette en biais dans  la cuvette après une diarrhée de mauvaise facture ; et j’ai constaté, en les observant, que pour les politiciens la parole est très souvent synonyme d’action,  l’énoncé prend valeur de vérité parce qu’il est énoncé. Le politicien est le tout puissant dont la parole ne saurait être remise en doute. Comme disait Julien Alexandre sur le blog de Paul Jorion :

« Pour arracher le pouvoir au monarque de droit divin, il a bien fallu que ses remplaçants se déclarent aussi sages et informés que lui. La représentation du peuple par ses élites incarne par définition la sagesse infaillible. La république était nominalement parfaite puisqu’elle n’avait aucune alternative réelle comme le régime qu’elle a remplacé.»

Les discours politiques ne reflètent pas toujours la réalité et quand ils veulent prendre un tour liberticide, ils tournent souvent à la manipulation et à la caricature. Je vais me concentrer sur un domaine particulièrement parlant : Internet.  Ainsi il n’y pas si longtemps un sage de l’ère numérique nommé Frédéric Lefebvre déclarait :

«L’absence de régulation du Net provoque chaque jour des victimes! Combien faudra-t-il de jeunes filles violées pour que les autorités réagissent? Combien faudra-t-il de morts suite à l’absorption de faux médicaments? Combien faudra-t-il d’adolescents manipulés? Combien faudra-t-il de bombes artisanales explosant aux quatre coins du monde?»

Internet : la valeur anxiogène par excellence. L’exutoire des volontés brisées devant la croissance incessante d’une bête sauvage et incontrôlable. Ils sont nombreux à avoir voulu lui jeter la bride : Nicolas Sarkozy, Christine Albanel, Frédéric Mitterrand, Eric Ciotti et même les grands penseurs de notre époque (sic) comme Jacques Séguéla et Amanda Lear. Pour eux, Internet n’est qu’un système dont on doit à tout prix assurer la régulation si ce n’est l’interdiction :

« sur les sites de streaming, l’idéologie du partage, c’est l’idéologie de l’argent : je vole d’un côté et je vends de l’autre. Personne ne peut soutenir cela » (Nicolas Sarkozy), «  cinq gus dans un garage qui font des mails à la chaîne » (Christine Albanel à propos de la quadrature du net), « utopie libertaire » (Frédéric Mitterrand), « la plus grande saloperie qu’aient jamais inventée les hommes » (Jacques Séguéla), « Je rêve qu’on interdise internet » (Amanda).

De l’autre côté il y’a les internautes. Les internautes, soutiennent un monde qui fout le système en l’air. Ici, la parole du politique peut être décortiquée, critiquée, contestée, bafouée, vendangée, déformée. L’internaute n’a pas de temps de cervelles à griller sur Tf1 mais surtout il est plus qu’un numéro sur une liste électorale, plus qu’un citoyen blasé qu’on interpelle un jour de pluie pour lui serrer mollement la main tandis qu’on hoche la tête sur ses doléances. Le peuple d’internet c’est le peuple en concentré. Le peuple en plus impulsif,  il exprime parfois ses plus bas instincts sous couvert de l’anonymat. Il est matérialiste, entièrement tourné vers l’instant, l’immédiat. Il est brut, naturel, spontané. Le gouvernant est froid par essence, distant. Il sait que le pouvoir est un sac de nœuds qu’on ne pourra jamais rendre tout à fait lisse mais dont il faut extraire la forme la moins abjecte. Le monde d’internet est un océan de possibilités une parole à prendre, un coup de gueule à pousser.

Il existe une certaine forme de barbarie sur internet. C’est un champ d’herbes sauvages où émergent çà et là des arbustes aux contours parfaits. C’est l’ordre dans la cacophonie des désordres, on constate d’ailleurs que les sites, forums et systèmes n’y existent que hiérarchisés et même un système comme Wikipedia, qui est fondé sur une certaine forme d’anarchie, ne se maintient que parce que cette anarchie est régulée par un nombre significatif de bénévoles. Face à la figure tutélaire, aristocratique et autoritaire de notre démocratie il y’a comme une dissonance. Un état fort, une collusion avec la presse vieille de plusieurs siècles, des lobbys, une méritocratie assise sur un régime pernicieux de privilèges couplée à des idéaux bien fixés aux jambières, telle est la France telle que la gouvernant la sait et la sent. Législatif, exécutif, judiciaire, journalistique, quatre pouvoirs. Internet est le cinquième pouvoir qui émerge telle une cinquième roue du carrosse.

L’état n’aime pas les internautes. Ses représentants ne parlent d’internet que pour en souligner les méfaits. En période électorale, notre président, complètement à la ramasse dans les sondages n’a rien trouvé de mieux que de vilipender le streaming. Une technologie. Comme si c’est la possibilité même du crime qui était répréhensible via cette technologie, plutôt que le crime lui-même. C’est emblématique de la folie furieuse de nos gouvernants en ce qui concerne un simple moyen de communication. La psychose maniaco-législative bat son plein dans un même panier où l’entrepreneur côtoie le mafieux, le membre de Facebook ajoute le violeur et l’étudiant jongle entre la lecture du huffington post et la vision d’images pédopornographiques.

Face à cette amas d’épithètes me vient la question suivante : Et les zoophiles ? Je ressens comme une discrimination à l’égard de cette fraction de la population qui, comme celle des nécrophiles, est injustement bafouée et ignorée dans le concert des lieux communs et des stéréotypes.

Non. Non. L’état n’aime pas les internautes. L’internaute est  l’acteur du saccagement permanent. Pourfendeur de la culture, rétif à la notion sacro-sainte de propriété privée, apôtre d’un monde incompréhensible et indomptable, ou on perd le plaisir de lire, où on perd la force d’agir. L’internaute est vu comme un insensible. Affamé et sensuel que seul le pillage éveille, il est ignoble et indifférent, il est le l’antithèse et le cauchemar de la société de consommation. Il ne s’arrête pas, il ne contemple pas et ses seules limites sont données par sa bande passante. Nulle appréciation du travail fourni, nul culte de l’effort, nulle beauté appréciée pour ce qu’elle est : J’aime, je clique, je prends tel le nouveau triptyque de sa religion impie. Un véritable cauchemar.

« Brider, brider, brideeeeeer !!! » tel est le cri que pousse le gouvernant quand il se lève précipitamment dans la nuit noire. Il a peur, il se signe, il s’absout dans des lois absurdes.

L’état n’est qu’un faux prophète qui endort la populace avec un pipeau. Il couvre ses bonnes intentions nauséabondes sous une avalanche avariée de bons sentiments et de mots barbares : DADVSI et son unique condamnation, Hadopi  qui a fait de Google la star du ddl pirate, loppsi grâce à qui les réseaux pédopornographiques peuvent se frotter les mains. C’est un enfant qui s’agite en vain dans une chambre de porcelaine. Un enfant, dont la baby sitter névrosée s’appelle…  major.

Internet sans anonymat et avec un total contrôle sur les données échangées n’est pas internet et ça n’est pas pour demain. A toutes les majors de toutes sorte, car c’est vous qui dirigez en sous-mains cette mascarade, vous qui traitez les parlementaires  comme les pétasses sur-maquillées d’une bande de lascars en rut, j’aimerai  vous dire ceci : Vous avez perdu la bataille.

Vous avez perdu la bataille depuis longtemps car vous n’avez pas su vous adapter à l’évolution technologique.
Vous vendiez des CD à 15 euros à l’époque de Napster.
Vous continuez aujourd’hui alors qu’on a tous compris qu’un CD avait plus de valeur en tant que partenaire sexuel qu’en tant que media crédible.

Pour justifier les fermetures d’entreprises et les délocalisations certains font appel à la notion de destruction créatrice établie par Schumpeter. Ce qui s’applique aux membres les plus fragiles de la population devrait aussi concerner les grosses industries sans que l’état vienne torcher les fesses de qui que ce soit avec des lois liberticides.

L’état arrivera-t-il à comprendre les internautes ? Peut-être un jour comprendra-t-il qu’internet, malgré ses mauvais côtés est une véritable avancée pour l’ensemble de la société. Peut-être comprendra-t-il qu’il peut exercer sa violence légale sans renier ses principes les plus fondamentaux. Peut-être comprendra-t-il que la technique du gun sur la tempe pour assurer nos libertés avec assurance : « Ne vous en faîtes pas on ne va pas tirer » n’est pas un vrai gage de sécurité. La liberté n’est pas quelque chose d’acquis mais un combat de tous les instants. L’état apprendra-t-il tout simplement à nous connaître ?
Mouai.

On a le droit de rêver. En vérité je vous le dis. La bataille ne fait que commencer.